Ordinals : La forme finale des NFT
Ordinals, la forme finale des NFT

Depuis quelques semaines la communauté bitcoin n’a qu’un mot à la bouche : Ordinals. Souvent décrit maladroitement comme “les NFT sur Bitcoin”, Ordinals est un protocole créé par Casey Rodarmor en 2022 à qui on peut aisément reconnaître le mérite d’avoir sensiblement fait bouger les lignes.
Si le lancement sur le réseau principal le 20 Janvier 2023 a fait beaucoup de bruit, le concept avait déjà été présenté de façon plus confidentielle à la fin de l’été 2022.
A la connaissance de l’existence de ce protocole j’ai comme beaucoup d’observateurs été interloqué. Surtout qu’on m'a présenté ça comme un “bug de taproot qui permet de hacker la time chain pour y mettre de la donnée arbitraire sans limite de taille”. Forcément, vu comme ça, ça ne pouvait que faire peur. Mais comme je voulais me faire mon propre avis j’ai pris quelques jours pour étudier le sujet afin de me construire une véritable opinion.
Comment fonctionne Ordinals ?
Ordinals reprend une vieille idée évoquée dès 2012 sur bitcoin, consistant à rendre chaque satoshi non fongible en le numérotant (d’où le terme ordinal). Le fait de pouvoir identifier les satoshis de la sorte permet de se les échanger en leur attribuant un usage particulier, et non monétaire.
En plus de rendre les satoshis non fongibles, Ordinals permet d’y rattacher de la donnée arbitraire limitée uniquement en taille par la taille du bloc lui-même. C’est ce qu’on appelle les inscriptions. Cette sorcellerie est opérée très simplement en intégrant la donnée en question dans un script taproot sous forme de plusieurs OP_PUSH sur la pile du script contenant la totalité des octets de la donnée en question.
Il en résulte non pas un NFT, mais un digital artifact, inscrit ad vitam dans la timechain (blockchain pour les incultes) et associé à un satoshi particulier, que l’on pourra s’échanger en gardant les propriétés initiales.
Le protocole Ordinals consiste donc à normaliser la façon dont on peut identifier les satoshis et extraire la donnée introduite dans les scripts leur sont associés.
De ce que j'en ai vu, le protocole est plutôt élégant et surtout très simple, ce qui est souvent un gage de succès. A l’opposé, j’ai toujours des réserves sur le protocole RGB (autre protocole permettant, en autres, la tokenisation sur Bitcoin) parce que je le trouve bien trop complexe. Sur Ordinals il reste encore pas mal de choses à faire mais la magie de l’open source opérant, on voit déjà que ça avance très vite avec des contributions qui affluent de tous les pays depuis son lancement.
Voilà pour une description rapide, le détail du protocole est bien évidemment plus riche, d'autres articles viendront pour analyser certains points en particulier. Le mieux pour le comprendre est de se lancer. Il existe plusieurs moyens, et surtout plein de façons de faire des bêtises ! Je conseillerais donc aux apprentis aventuriers des artéfacts numériques de bien maitriser les bases du protocole Bitcoin avant de se lancer.
La genèse de Ordinals
Afin de me faire une idée juste de ce protocole je me suis également intéressé à sa genèse afin de de comprendre comment Casey Rodarmor en était arrivé là et pourquoi. Dans une vidéo datant de 2022 Casey nous explique qu'à côté de Bitcoin, un de ses violons d’Ingres est l’art algorithmique. Un art datant de bien avant les NFT, liant l’artistique et l’informatique et consistant à créer des œuvres multimédia basées sur des algorithmes.
Étant lui-même bitcoiner (et non ethereiste) il a pu assister en spectateur à l’éclosion de plusieurs œuvres algorithmiques utilisant les NFT sur les chaînes compatibles EVM. En voyant qu’il y avait un marché actif et riche il s’est donc résigné à installer Metamask et jouer un peu avec les NFT sur Ethereum. Mais plus il pratiquait, plus son expérience de développeur lui permettait de se rendre compte à quel point l'écosystème NFT Ethereum ne convenait pas à son exigence de qualité et de fiabilité, surtout comparée à Bitcoin. Il a donc abandonné et commencé à chercher comment il pouvait faire quelque chose qu’il lui conviendrait mieux et sur Bitcoin. C’est donc la volonté de porter son art sur Bitcoin qui a motivé la création de Ordinals. Intéressant.
Bored NFT
J’ai toujours fait partie des voix les plus critiques sur les NFT, et ce depuis 2015 à l'époque où ils étaient uniquement sur Bitcoin avec OMNI, Counterparty ou Colored coins qui pourtant présentaient chacun quelques aspects intéressants. Ensuite, après l’explosion crypto-cambrienne des shitcoins (et de leur matrice tokenisatrice, Ethereum), c’est devenu bien pire car on a ajouté d’autres problèmes aux problèmes initiaux.
Voici une liste de mes principaux arguments contre les NFT avec en face la position des digital artifacts vis à vis de ces problèmes majeurs identifiés. Voyons ce que les NFT ont à envier aux DA;
Ordinals améliore donc quelques aspects des NFT sur Ethereum et les autres chaines mais est loin d'être la solution miracle. Il convient également de citer certaines de ses limitations bien spécifiques.
- La taille des données que l’on peut inscrire dans la timechain est limitée à 400 Ko, au-delà de cette taille, les noeuds du réseau ne relayeront pas la transaction. Il est techniquement possible de monter jusqu'à 4 Mo mais pour voir une transaction de cette taille minée il faut directement la fournir à un mineur.
- Les artéfacts numériques sont échangeables mais ne sont pas compatibles avec les blockchain de type EVM. On peut néanmoins construire des bridges entre les deux. Le Teleburn est une nouvelle pratique visant par exemple à détruire un NFT Ethereum (ou autre) dans une adresse liée à son portage sur Ordinals. Ce procédé s'est fait notamment connaitre par l'histoire d'un possesseur de Bored Ape, Magique.
- Chaque “mint” demande une transaction onchain atomique, on ne peut pas mint une collection de plusieurs centaines d’artéfacts en une seule transaction comme on peut le faire sur les autres chaines.
La communauté Bitcoin est divisée sur le sujet

Depuis l’arrivée de Ordinals, beaucoup de voix se sont élevées dans la communauté Bitcoin pour dénoncer les risques associés à cette nouvelle technologie. Mais si on analyse froidement la situation, il n’y a pas grand chose à craindre. Au contraire même, Ordinals pourrait être très bénéfique à l'écosystème Bitcoin tout entier.
Ordinals n’est pas la résultante d’un “bug” Taproot
A l’arrivée de Ordinals certains ont dénoncé l'existence d’un bug que les développeurs Bitcoin auraient laissé passer lors du dernier soft fork. Cette affirmation est complètement fausse car l'augmentation de la taille des blocs date en réalité de 2017 via Segwit qui permettait déjà l’insertion de données arbitraires dans la chaine. Taproot, dernier soft fork introduit dans le protocole Bitcoin a rendu la chose plus aisée en enlevant la limite sur la witness data pour les scripts, mais il était déjà possible, par d'autres moyens d’insérer de la donnée arbitraire dans la timechain.
Ordinals ne va pas encombrer la timechain
Il est fort probable qu’avec Ordinals, la taille moyenne des blocs bitcoin augmente de façon sensible, en effet la mempool (l'ensemble des transactions en attente de confirmation, conservée en mémoire des noeuds du réseau) sera très souvent pleine d’inscriptions en attente de confirmation. La taille maximum des blocs étant toujours de 4 Mo, la taille de la blockchain ne pourra pas exploser de façon démesurée. Le scénario extrême c’est que tous les blocs soient pleins non stop, un scénario assumé depuis Segwit, et que Ordinals ne fera au pire qu’accélérer . Dans ce scénario , à raison de 144 blocs par jour, la blockchain grossirait de 576 Mo par jour, 210 Go par an. Cela fait beaucoup, mais ce n’est pas non plus une taille totalement ingérable.
Des solutions ont vu le jour dans le camp des anti-JPEG permettant par exemple à un noeud d’ignorer les données témoin de Ordinals. Au final, l'animosité envers Ordinals est bien réelle chez certains bitcoiners mais de ce que j'en vois elle reste plutôt minoritaire.
Ordinals ne va pas empêcher les transactions “légitimes” de passer
Une autre crainte infondée est que Ordinals provoque une hausse des frais de transaction rendant impossible les transactions "normales". Une première réponse est empirique : en plus d'un mois et plus de 200 mille inscriptions plus tard, les frais "next block" n’ont pas vraiment augmenté. Car sur Bitcoin, les frais de transaction ne sont pas liés au temps de traitement de la transaction comme sur Ethereum avec son “gaz”, sur Bitcoin les frais sont uniquement basés sur le poids en octets de la transaction. Segwit a introduit une remise (un discount) sur les données témoins (witness data) mais les frais s'y appliquent tout de même. Pour Ordinals, le taux de frais payé par les inscriptions est généralement bas (entre 1 et 5 satoshis par octet virtuel) car la taille des transactions est élevée. Une transaction de paiement classique avec une entrée et deux sorties sera infiniment plus petite et pourra simplement émettre aujourd'hui à 12 satoshis par octet virtuel pour être archi prioritaire. La chance que Ordinals à lui seul provoque un épisode tel que celui de 2017 ou rien ne passait en dessous de 300 satoshis par octet virtuel est quasi nulle.
Pour faire le calcul de ce que coûte les frais en satoshis d'une inscription Ordinals, il suffit prendre la taille de la donnée à inscrire, la diviser par 4 (discount segwit) et ensuite multiplier le tout par le taux de frais désiré. Exemple pour une photo de 1 Mo (1 million d'octets) : à 1 satoshi par octet virtuel, cela coutera eniron 250K satoshis.
Si on observe l'évolution de la mempool depuis l'arrivée d'ordinals on voit que si on a effectivement vu une augmentation substantielle du nombre de transactions, il s'agissait principalement de transactions avec des taux de frais tres bas (en rose sur le graphique). On remarque meme qu'en quelque jours, ces transactions finissent par être absorbées par le système. Soit par éviction au bout de 2100 blocs car toujours en attente de confirmation, soit simplement parce qu'elles elle finissent par être minées quand le protocole est moins chargé (typiquement, durant le week end).

Ordinals permet de débuter l’économie des frais de transaction
Ces derniers temps, une des attaques préférées sur Bitcoin provenant des promoteurs de protocoles alternatifs se portait sur le fameux “budget de sécurité” qui serait en danger une fois l’émission monétaire tarie. En effet, selon cette théorie (fumeuse à mon humble avis) la récompense de création monétaire qui diminue de moitié tous les 4 ans ne serait plus nécessaire à subventionner le minage et mettrait donc en danger la sécurité du réseau.
Une des réponses les plus évidentes à cette théorie est de signaler que les mineurs se rémunèrent également en frais de transaction qui sont rajoutés à la récompense d’émission monétaire. On peut naturellement anticiper que petit à petit, la part des frais de transactions ne fera qu’augmenter pour devenir majoritaire dans quatre ou cinq epoch.
Le taux d’adoption de Bitcoin nous permet également d’anticiper le moment où tous les blocs finiront par être pleins et où le marché des frais pourra réellement décoller. Si on remonte aux épisodes de spam précédents, le plus récent étant une grosse consolidation d’UTXO de la part de Binance, Ordinals est très différent car la nature même de cette activité sur la chaîne fait que le taux de frais sera forcément très inférieur aux transactions “normales” beaucoup plus petites en taille.
La demande constante en espace de bloc provoquée par Ordinals permet d’avoir un “buyer of last resort” pour les mineurs. Cette donnée seule leur permettra d'avoir un revenu minimum prédictible qu’ils pourront intégrer dans leurs modèles.
En conclusion sur le sujet des frais de transaction, on remarque que les mécanismes mis en place par le protocole Bitcoin favorisent une auto-régulation presque magique, apportée par l'équilibre du consensus de Nakamoto. Le meme suivant résume assez bien la situation :

Conclusion : Au-delà du JPEG
La possibilité d’inscrire une donnée arbitraire à même la timeschain permet d’imaginer des choses bien plus intéressantes que de créer des images de collection. Mais pour l’instant c’est pourtant ce qui se passe avec des communautés NFT provenant d'autres blockchains qui se mettent à installer des fulls nodes Bitcoin et insuffler un second souffle à un mouvement NFT plutôt sur la pente descendante, bear market oblige.
Certains signes ne trompent pas : OpenSea, premiere plateforme d'échange de NFT au monde s'est tres rapidement mis à proposer des artéfacts numériques à la vente en s'appuyant sur le bridge Emblem.
Yuga Labs, éditeur des fameux Bored Apes, après avoir ouvertement critiqué le premier teleburn de Bored Apes comme illegitime a finalement retourné sa veste quelques jours après en lançant une collection d'art algorithmique.

A la derniere grand messe NFT : NFT Paris, on a même pu admirer un stand des' artistes cagoulés de Ordinals loops, des pionniers de Ordinals avec une collection d'art ASCII.
Mais tout cela, bien que sympathique (parfois) n'est qu'une pâle copie, voire un simple portage de ce qui existait deja sur les autres chaines. De plus, les comportements observés datent d'une ère qui commence à être révolue, l'age d'or des NFT où Paris Hilton flexait son Ape sur les réseaux, c'est fini, ou alors c'est bientôt fini.
A mon avis, le comportement visant à simplement répliquer ce qui s'est passé au dernier cycle sur les NFT ne durera qu’un temps, et on commencera à voir émerger des spécificités d'un marché Ordinals. Pour faire simple, exit les cas d’usage mass market, et plutôt un marché de niche hyper spécialisé avec peu d’inscriptions mais beaucoup plus de valeur créée, notamment pour l'entreprise. Ordinals ne pourra pas servir d'outil marketing aux grands groupes pour fidéliser des millions de clients. Son intrication avec le système de paiement cash de pair à pair (Bitcoin) permet de valoriser la rareté plus que la quantité. D'autres approches plus exclusives devraient donc être logiquement privilégiées avec le temps.